In memoriam – Hélène Carrère d’Encausse, la “Tsarine des immortels”

« …tout au long de l’histoire plus que millénaire de la France, ….son rayonnement dans le monde a toujours tenu à la force d’attraction de sa langue et au prestige de la culture portée par cette langue »

Hélène Carrère d’Encausse

A la fin de l’été, la France rendra hommage à celle qui a fait de la langue française sa raison de vivre, à une Russe qui a servi la France et qui est devenue plus Française que les Français eux-mêmes. 

Chacune de ses apparitions en public suscitait l’admiration des hommes et la fascination des femmes. Surnommée « la Tsarine des immortels », elle rayonnait par sa classe naturelle. Femme de convictions, elle séduisait par sa qualité d’écoute et son charisme.  

Hélène Carrère d’Encausse née Elena Gueorguevna Zourabichvilli est issue d’une famille russo-géorgienne installée en France après la révolution bolchevique. Elle est la fille de Gueorgui Zourabichvilli, économiste et philosophe géorgien. Sa mère, Nathalia von Pelken descend d’une famille russo-allemande. Elle est apparentée avec les grandes familles de la noblesse russe : Orlov, von Pahlen, Mechtcherski etc.  Apatride, elle obtient la nationalité française en 1950, à l’âge de 21 ans. Elle était un parfait exemple de cette intégration qui permet à un enfant, né de parents étrangers, d’assimiler la pensée, la tradition et la fierté française, tout en conservant son amour pour la patrie de ses ancêtres – la Russie.

Après ses études à l’Institut d’études politiques de Paris, elle a enseigné l’histoire à la Sorbonne. Sous la présidence de Jacques Chirac, elle est élue députée européenne et pendant 5 ans, elle a assuré la vice-présidence de la commission des Affaires étrangères et de la Défense.  En 1952, elle épouse Louis Édouard Carrère, dit Carrère d’Encausse. De cette union, sont nés trois enfants.

Son frère cadet, Nicolas est devenu compositeur. Il était directeur du Conservatoire Serge Rachmaninov à Paris de 1986 à 1988. Sa cousine Salomé Zourabichvilli est présidente actuelle de la Géorgie.

« Victorieuse Russie »

C’est le titre de son livre paru en 1992 chez Fayard. Soviétologue de renom et anticommuniste, elle faisait partie des grands intellectuels français ayant œuvré, après la chute de l’URSS, pour le rapprochement entre cette nouvelle Russie victorieuse et l’Europe. « La Russie, qui, ayant défait le communisme et ses démons, se réapproprie son destin, celui d’un grand pays moderne d’Europe » écrivait-elle.

Auteur des nombreux ouvrages sur la Russie, elle est restée fidèle à l’idée du Général de Gaulle sur l’Europe commune de l’Atlantique à l’Oural. Elle partageait la même vision sur le rôle prépondérant de la Russie dans l’équilibre et la sécurité de l’Europe. Lors de sa disparition, le président russe lui a rendu hommage, saluant « une grande amie de la Russie ».

Photographie: avec Madame Simone Veil, Présidente d’honneur de la Renaissance Française.

« Madame le Secrétaire perpétuel »

Sur la recommandation d’Henri Troyat, issu aussi de l’émigration russe, elle rejoint le 23 quai de Conti en 1990 et devient la troisième femme à l’Académie française, après Marguerite Yourcenar et Jacqueline de Romilly.  Elle est élue au 14ème fauteuil de Jean Mistler qui fut aussi secrétaire perpétuel de 1973 à 1985.  Son épée symbolise ses 2 patries : une croix de Saint-André pour rappeler la Russie et un coq gaulois qui rappelle la France. Sur son épée figure aussi Saint-Georges – Saint Gueorgui, le patron spirituel de la Géorgie – en hommage à son père disparu très tôt.  Sur la poignée figure une date : 1991. C’est l’année de la fin du communisme en Europe.

Le 21 octobre 1999, elle succède à Maurice Druon, neveu de Joseph Kassel (encore un Russe), à la tête de l’Académie française. C’est la première femme élue à ce poste depuis sa création en 1635 par le cardinal de Richelieu. Elle devient un fervent défenseur de la langue française face à l’expansion anglo-américaine. Pour elle, la France n’est pas seulement un territoire sur la carte mais aussi une langue et une culture.Elle s’opposait aussi à la féminisation des titres et des fonctions.Elle-même se considérait comme LE secrétaire perpétuel de l’Académie française.

« A l’immortalité » cette devise figure sur le sceau de l’Académie française. « Les immortels » est le surnom donné aux académiciens en faisant la référence à leur mission immortelle : porter la langue française.  

Le 5 août 2023, l’immortalité académique est devenue l’immortalité réelle pour cette   « Tsarine russe »  qui a régné pendant 33 ans au Saint des saints de la langue française.

Zoya ARRIGNON

Crédit photos : Ambassade de Russie à Paris, Académie française